Photo de la scène d'un lieu de diffusion en musiques actuelles vide
04/02/2021

Analyse des dispositifs de soutien économique et solutions complémentaires pour le secteur des musiques actuelles

2020 a été une année catastrophique pour l’ensemble de la filière des musiques actuelles tant sur les plans économique, que social et humain. Tous·tes les adhérent·es du MAP ont dû faire face à des nombreuses et difficiles restrictions d’activité. Pour faire face à ces changements brutaux, iels ont eu la possibilité d’actionner plusieurs leviers économiques mis en place par le Gouvernement, le CNM, les collectivités territoriales et les OGC. 

Dans ce cadre, le Réseau MAP a entrepris de réaliser deux enquêtes quant à l’impact économique et social de la Covid-19 suite aux deux confinements. Nous vous en présentons ici la synthèse. Ce travail est issu non seulement de l’analyse des résultats de la passation de deux questionnaires auprès de nombreuses structures parisiennes, mais est également le fruit de la réflexion des adhérent·es du MAP lors de trois MAP’tinales (entre octobre et décembre 2020) dont l’objectif était d’émettre des pistes d’amélioration de certaines aides apparaissant parfois inadaptées, ou de suggérer la création de nouveaux dispositifs.

De multiples aides mobilisées, mais des dispositifs sectoriels encore restrictifs pour les professionnel·les

Les dispositifs de droit commun ont été largement mobilisés par les acteurs de la filière : l’activité partielle, le fonds d’urgence de l’Etat et les reports de charges de l’URSSAF ont largement soutenu le secteur des musiques actuelles. Cependant, l’ingénierie des dispositifs sectoriels proposés pourrait être optimisée. 

⏤ Des dispositifs sectoriels difficiles d’accès

⇢ Des critères d’éligibilité aux fonds du Centre National de la Musique restrictifs

Le Fonds de sauvegarde apparaissait être un complément sectoriel aux dispositifs de droit commun qui serait donc adapté à la filière. Mais il apparaît en réalité qu’il est plus compliqué à obtenir.
En effet, 32% des répondant·es (1) n’ont pas demandé l’aide car non-éligibles (ou a priori non-éligibles). Seuls 5,3% des répondant·es ont indiqué ne pas avoir demandé l’aide car leur situation n’était pas assez dégradée. Il est donc étonnant que les 32% n’aient pas demandé une aide dont ils auraient besoin en raison d’une non-éligibilité, contradictoire pour une aide sectorielle. 

Le Fonds de compensation des pertes de billetterie témoigne quant à lui d’une belle vision qui vise à  maintenir une activité et une visibilité de la filière malgré des conditions en assis distancié très défavorables. S’il témoigne d’un esprit de résilience, les critères d’éligibilité de ce fonds ne sont pas toujours compris par les professionnel·les et sont même parfois restrictifs. 

Ainsi, un problème de lisibilité des critères d’accès aux dispositifs, des effets de seuil ou encore des restrictions sur les codes NAF ont été regrettés par les répondant·es pour ces deux fonds d’urgence du CNM. 

Des réalités économiques laissées pour compte

Les dispositifs d’aides laissent notamment de côté les structures qui ont démarré une activité juste avant la crise, alors même que ce sont les plus fragilisées.

Ils ont par ailleurs longtemps mis de côté plusieurs professions, notamment les managers et attaché·es de presse. Cela a néanmoins été rectifié le 16 décembre 2020, avec la création d’un fonds de sauvegarde pour les indépendant·es (agent·es, managers, attaché·es de presse, entreprises individuelles et auto-entrepreneurs·ses du spectacle) abondé de 3,5 M€.

⏤ Réinventer un « droit de tirage » : pour une simplification et une plus grande souplesse de l’accès aux aides 

La SCPP et le CNV proposaient un « droit de tirage ». Il consistait à accorder un forfait d’aide aux structures, qu’elles pouvaient consommer au fil des besoins. Un tel modèle apparaissait comme relativement souple et adaptable à une grande diversité de réalités économiques.

Proposition du Réseau MAP

Dans la même logique, une idée a émergé lors des rencontres entre nos adhérent·es : il s’agirait de commuer en un guichet unique toutes les aides dédiées aux entreprises S1 et S1bis qui sont éclatées – donc ceux qui sont empêchés administrativement mais aussi toute la chaîne de valeur qui en dépend – en une sorte de droit de tirage qu’il serait possible de mobiliser selon les nécessités des structures. Ce droit de tirage pourrait par exemple être centralisé sur un site dépendant de l’Etat et redistribué sur l’année 2021.

Car la reprise d’activité debout/dansante ne semble pas se profiler pour cette nouvelle année pleine d’incertitudes. Pour mémoire, la SACEM dénombre 9.004 lieux de diffusion de musique « debout et ou danse » en France, hors festivals, dont l’activité est totalement arrêtée administrativement depuis le 15 mars 2020 – seul le mode « assis distancié » a pu rouvrir ponctuellement.

Il y a une crainte à répétition du secteur culturel, de la nuit et des musiques actuelles que le Gouvernement baisse les taux de soutien, voire même supprime les aides sectorielles lors de la reprise en « assis distancié ». Car si la réouverture est autorisée seulement sous cette formule, il ne s’agira que d’un effort de nos acteurs au titre de la solidarité nationale vis-à-vis des citoyens et de la puissance publique. Seule la réouverture du debout marquera la vraie relance du secteur, car c’est le seul modèle viable et durable pour la première pratique culturelle des français·es trop souvent occultée par le spectacle vivant assis – dont nous restons solidaires.

Les crédits : une solution de court terme limitée qui ne soutient que la trésorerie

⏤ Un accès au PGE limité

⅔ des répondant·es à notre enquête (2) n’ont pas demandé le PGE. On peut en déduire qu’iels ont estimé qu’aucun établissement bancaire ne les aurait jugé·es éligibles. 

De plus, le PGE ne s’adresse pas non plus aux structures dont l’activité a démarré peu de temps avant la crise, constituant une double peine pour lesquelles la première année d’exercice est décisive.

Proposition du Réseau MAP

Le Réseau MAP avait soutenu l’idée d’un dispositif d’avances remboursables qui a depuis été adopté et qui permet : 

  • de réduire la pression budgétaire, car ces avances ne seraient pas conditionnées à des taux d’intérêt  
  • de réduire la pression financière sur la trésorerie quant au remboursement des mensualités
  • de financer l’investissement (ce qui n’est pas le cas pour le PGE avec lequel il est par exemple impossible de faire des travaux dans ses établissements durant la période de fermeture administrative).
  • d’éviter que les mensualités fixées par les banques soient indexées sur des CA qui dépendent en réalité en 2020 des sommes perçues par les demandeurs au titre des dispositifs d’aides Covid – car cela implique que l’Etat garantisse des prêts indexés sur les sommes qu’il affecte déjà à des entreprises en difficulté. 

Cependant, le dispositif d’avances remboursables et le PGE ne peuvent pas être cumulés aujourd’hui. Le Réseau MAP souhaite aménager la possibilité de cumuler ces deux dispositifs pour notre filière debout et danse et ainsi leur permettre de se compléter : 

  • nous demandons donc un accès automatique à notre filière aux avances remboursables et au PGE, au choix du demandeur selon ses capacités
  • ce dispositif n’a pas de sens à être mis en balance face au PGE car il est plus avantageux (3 ans de franchise au lieu d’un, 10 ans de remboursement au lieu de 5), mais aussi plus réaliste, cohérent avec les rythmes de la filière qui ont des franchises bancaires de base de 1 à 2 ans pour des prêts sur 7 ans, voire de franchise ou de durée d’amortissement doublées de base. 

⏤ L’importance du soutien des collectivités 

Le Fonds de résilience de la Région Ile-de-France vient pallier les critères d’éligibilité trop restrictifs du PGE qui ne prennent pas en compte la fragmentation de notre secteur. Ainsi, sont éligibles à ce fond :

  • Les entreprises et micro-entreprises (quel que soit le statut : entreprise individuelle, indépendant, profession libérale), jusqu’à 20 ETP, de tous secteurs 
  • Les entreprises de l’ESS, à partir de 1 salarié·e et sans maximum d’effectif, de tous secteurs

⏤ Un simple soutien à la trésorerie qui n’aide pas à structurer la reprise d’activité

Les reports de crédits sont un sujet peu discuté mais qu’il faut aborder : il faut batailler pour repousser les échéances. Avec de nombreux secteurs mis en arrêt administrativement, ces reports deviennent cruciaux.
On peut donc se réjouir de l’incitation de Bruno Le Maire du jeudi 14 janvier, qui va en ce sens et précise : “Une  entreprise  ayant  contracté  un  PGE  en  avril  2020,  et  qui  ne  serait  pas  en  mesure  de commencer à le rembourser en avril 2021, pourra demander un report d’un an et commencer à le rembourser à partir d’avril 2022.” 

Dans la même logique, 40% des répondant·es (3) ont demandé des reports de charges sociales / patronales, ce qui témoigne du fait qu’iels avaient besoin de soutenir leur trésorerie et montre bien l’urgence de la situation. 

Cependant, si le soutien à la trésorerie est crucial et que plusieurs structures ont bénéficié de prêts bancaires à taux 0, il faut souligner que l’on ne sait pas quand l’activité pourra redémarrer ni avec quelle capacité de remboursement. Ces prêts sont par ailleurs souvent conditionnés à la souscription à une assurance et surtout, ne sont pas structurants pour la reprise d’activité qui dépend elle, du budget.

Néanmoins, les dernières annonces de Bruno Le Maire en date du 14 janvier viennent partiellement pallier ce problème. Le Ministre a ainsi annoncé qu’un troisième enjeu serait de “renforcer les fonds propres des entreprises qui en ont besoin. Notamment grâce aux prêts participatifs soutenus par l’Etat”. Puisque les prêts participatifs constituent des apports en capital conditionnés à l’achat d’actions de longue durée, ils sont donc sécurisés pour l’entreprise et ne reviennent pas non plus remettre en question la dichotomie trésorerie / budget puisqu’ici l’apport en capital vient en effet soutenir le budget.

On peut se satisfaire de cette annonce qu’il faudra étudier lors de la présentation des modalités de ce dispositif. 

Les loyers : pour un partage du risque entre l’investissement mobilier et immobilier

⏤ Le principe de participation à l’effort et à la prise de risque financier doit être défendu

On admet généralement que les exploitants assument de grosses pertes car l’exploitation culturelle est par nature une activité risquée mais l’on pourrait accepter qu’il puisse également y avoir un effort contributif dans la prise de risque de la part des bailleurs.

⇢ Le crédit d’impôt loyers encore trop peu incitatif

Le second volet de notre enquête a mis en évidence une augmentation des annulations de loyers entre le printemps et l’automne (11,8% > 20%) (4) : cela montre qu’il y avait bel et bien besoin d’un crédit d’impôt loyers.
Toutefois les premiers postes de dépenses restants à charge sont toujours les loyers à l’automne : le crédit d’impôt apparaît donc comme nécessaire mais encore trop peu incitatif pour avoir un réel rôle de levier pour les économies fragilisées de notre secteur.

Par ailleurs, avec le crédit d’impôt, le bailleur n’assume pas de risque, c’est l’État qui participe à l’effort. Pourquoi un propriétaire qui investit dans un secteur commercial n’assume-t-il pas sa part de risque, certainement moins importante que celle de l’entrepreneur culturel ?

⇢ L’accès au PGE pour les SCI louant à des entreprises S1 et S1bis : un moyen d’assumer une part plus importante de risque

Proposition du Réseau MAP

Afin de rendre possible ce partage du risque, il semble nécessaire d’autoriser les SCI à destination de locaux professionnels dont les locataires font partie des catégories S1 et S1bis (qui sont donc empêchés administrativement) à accéder à un PGE à hauteur du montant des loyers qu’ils ne peuvent pas percevoir. 

⏤ Protéger les baux de locaux, bureaux et des lieux ERP de culture par classement élargi en « CINASPIC » par les collectivités locales

Proposition du Réseau MAP

Nous recommandons de créer une mesure administrative contraignante et incitative permettant la sauvegarde de la destination et de l’activité des locaux et ERP de l’ensemble de ces opérateurs et leur maintien dans leurs murs actuels. L’idée est de classer les locaux des bureaux et ERP (type L et P) couvrant l’ensemble des activités de création, de production et de diffusion culturelles dans la destination « équipement d’intérêt collectif et service public » (anciennement CINASPIC, selon les articles R. 151-27 et R. 151-28 du Code de l’Urbanisme) des plans locaux d’urbanisme des collectivités locales. 

À l’instar du plan local d’urbanisme de la Ville de Paris, qui classifie déjà « les établissements culturels et les salles de spectacle spécialement aménagées de façon permanente pour y donner des concerts, des spectacles de variétés ou des représentations d’art dramatique, lyrique ou chorégraphique », cette mesure permettrait de protéger les structures de la nuit et du spectacle vivant, en évitant aux bailleurs de relouer ou céder un local ayant cette vocation culturelle pour une autre destination et leur imposerait à minima des démarches spécifiques. La plupart des établissements culturels étant aujourd’hui classés dans les destinations « commerce et activités de service » ou « autres activités des secteurs secondaires et tertiaires », les changements d’usage au sein même de ces destinations (dits changements de sous-destinations) fragilisent et mettent en péril nos secteurs d’activités. La demande de classement des établissements culturels dans la destination « équipements d’intérêt collectif et service public » amènerait une mesure de protection supplémentaire pour les baux des entrepreneurs de nos secteurs très fragilisés par la crise sanitaire actuelle

⏤ La prise en charge des coûts fixes : un dispositif attendu, mais encore opaque

Bruno Le Maire a annoncé ce jeudi 14 janvier : “Nous   prendrons   en   charge jusqu’à   70%   des coûts   fixes   des   entreprises   fermées administrativement, ou des entreprises appartenant au secteur S1 et S1 bis, qui ont un chiffre d’affaires supérieur à 1 million d’euros par mois.

Nous travaillons  également  à  étendre l’aide  complémentaire  sur  les  charges  fixes  aux  plus petites structures qui ne feraient pas 1 million d’euros de chiffre d’affaires par mois mais qui auraient d’importantes  charges  fixes. Je  pense  notamment  aux  salles  de  sport,  aux  activités indoor, centres de vacances”.

On peut se réjouir de cette annonce mais néanmoins mettre en évidence des critères restrictifs : quand l’annonce concernant les CA de moins d’un million d’euros sera-t-elle faite ? Car c’est une réalité pour un grand nombre de structures de notre secteur très fragmenté ! On peut également souligner le fait que les acteurs culturels sont encore une fois oubliés du discours étatique. 

Par ailleurs, sur quelle période de référence ces CA sont-ils calculés ? En 2020, les CA de toutes les entreprises ont drastiquement réduit. 

Imaginer de nouveaux dispositifs pour de meilleures conditions de reprise

⏤ La création d’un fonds pour la prévention

Proposition du Réseau MAP

Dans le cadre de la rédaction d’une note contributive au plan de déconfinement concernant les ERP adressée le 25 avril 2020 à Jean Castex, nous avions proposé la création d’un fond qui aurait pour vocation à co-financer significativement : 

  • La création de postes de médiateurs·trices / chargé·es de prévention au sein des établissements, qui auront pour mission de veiller à l’approvisionnement de produits (gel, masques), d’orienter les publics sur ces questions et  d’aider les équipes d’exploitation sur la désinfection des zones : poste d’accueil et de paiement, sanitaires. 
  • L’achat de gel, de masques et de produits et équipements d’hygiène et de désinfection

Ce fond pourrait notamment être financé par un système de crédit d’impôts aux bailleurs et promoteurs, qui sont les bâtisseurs et souvent propriétaires de nos sites, par la contribution fortement incitée des assureurs et par le Ministère du Travail et de l’Emploi s’agissant des postes créés à travers un dispositif ad-hoc d’emplois aidés.

⏤ Soutenir le mécénat aujourd’hui en danger

Une autre inquiétude visant les sources de financement privés pèse sur les acteurs du secteur, surtout lors d’une période où les festivals se mobilisent pour maintenir leur programmation en 2021.

Proposition du Réseau MAP

Nous recommandons de modifier la loi 87-571 du 23 juillet 1987 qui se réfère à l’article 238 bis du CGI portant sur les dons faits par les entreprises en créant une nouvelle tranche supplémentaire de 0,5% de chiffre d’affaire éligible au mécénat, en plus des 0,5% actuels, à destination exclusive des entreprises culturelles administrativement fermées totalement ou partiellement depuis le 15 mars 2020 et à l’ensemble des opérateurs en amont (producteurs, créateurs) afin de permettre aux entreprises donatrices éligibles de doubler l’assiette de leurs dons en nature sous ce régime. L’objectif serait de faire circuler des flux d’argent de secteurs peu impactés par la crise sanitaire vers les opérateurs privés de la culture particulièrement impactés par cette dernière. Il faudrait prévoir, en outre, une simplification de la capacité des bénéficiaires à délivrer un rescrit fiscal.

Proposition du Réseau MAP

Il faudrait prévoir, en outre, une simplification de la capacité des bénéficiaires à délivrer un rescrit fiscal


(1) A propos de notre panel de répondant·es pour les questions spécifiques aux dispositifs du CNM (01/2021) :
20 répondant·es : Lieux de diffusion : 65% / Festivals et organisateurs de spectacle vivant : 5% / Accompagnement d’artistes : 10% / Producteurs de musique enregistrée : 10% / Autres activités : 10%.

(2) Second volet de notre enquête sur l’impact économique et social de la Covid-19 réalisé à l’automne 2020

(3) Idem

(4) Idem